Les Productions Yves Bernas

Extrait de "Vitax®" :

## Vitax®

L’auteur n’a pas déposé la marque Vitax® et les effets décrits de ce produit sont d’ordre purement fictionnel.

En regardant sa réflexion dans les vitrines qui passaient, Spike Thorn se sentait très fier de son invention. Le tronc tenait bon sur la selle arrière du tandem et ses jambes pédalaient comme un soldat mécanique bien remonté. Il avait fixé l’interface neuro-électronique juste au-dessus des entrailles et avait tout collé avec de la gelée synthétique de méduse, le tout bien vissé sur la selle. Il aurait pu vider les viscères, mais il avait lu que les jambes dureraient plus longtemps si on laissait les intestins, à la condition qu’on verse régulièrement du Vitax® dans le tronc, ce que Spike ne manquait pas de faire. Spike s’était arrêté à la station-service, adossant sa bicyclette contre la vitre.

« 3 gallons de Vitax®, s’il vous plaît. » Spike avait demandé cela à la fille de type Beta sans avoir pu quitter des yeux sa poitrine qui tentait désespérément de sortir de son chemisier blanc. « O2 ou DO2 ? », demanda la fille de type Beta. Comme Spike ne montrait aucun signe de compréhension, elle ajouta : - Normal ou doublement oxygéné ? — Double alors. — Sucré ou normal ? — Vous savez, je n’en bois pas. — Vous devriez, votre épouse en serait ravie. Il rougit un peu et répondit : — J’ai bien peur que non. — Le glucose supplémentaire les fait aller plus vite, mais bien sûr ils s’usent plus rapidement. » Elle sourit, légèrement moqueuse, puis regardant la bicyclette, elle ajouta : — C’est pas mal votre truc, je n’ai jamais rien vu de pareil, Monsieur — Normal, alors. », répondit-il.

Spike se dirigea vers le Pont du Sud, le dernier de la ville, où les maisons deviennent éparses, la verdure apparaît et le tram s’arrête. Il voulait rentrer par l’autre rive du fleuve, là où se trouvent tous les bars et les boîtes de nuit. Peut-être qu’il voulait simplement ne pas rentrer chez lui, à cause de Regina. Elle allait certainement lui hurler dessus à nouveau, trouver une raison pour laisser sa frustration éructer et l’engueuler, comme presque tous les soirs de tous ces mois de ces dernières années. Il se demandait quelle en serait la raison cette fois-ci, les chaussettes sous le lit, le caleçon qu’elle ne touchait pas, peu importe. Spike pensait que le jour de son enterrement, elle piétinerait son cercueil dans une danse macabre et en perforerait le couvercle de ses hauts talons, lui ordonnant comme de routine de se réveiller de son dernier sommeil et qu’elle pesterait qu’il aurait dû descendre les ordures avant de mourir. Elle avait beau être une femme, même une femme sans travail, elle n’était pas une femme de ménage et en aucune façon SA femme de ménage, et que même si cela pouvait lui faire délicieusement plaisir, elle n’était certainement pas du type Beta.

C’est pour cette raison que Spike avait stipulé dans le testament qu’elle lui avait fait écrire la nuit de leurs noces pour assurer son héritage que le couvercle du cercueil devait avoir une épaisseur d’au moins deux pouces. C’est à ce moment que les enfants du voisinage rassemblés de l’autre côté de la rue se mirent à crier, comme les chiens aboient sur les intrus. L’un d’entre eux cracha même dans sa direction : c’était la bécane ! Ils n’avaient jamais rien vu de pareil et les enfants sont souvent très conservateurs, comme leurs parents. Une pierre vola et il entendit un gosse crier : « Pédé ! »

Spike fut sur le point de s’arrêter, d’attraper le garnement et de porter officiellement plainte pour jet de pierre et insulte. Cela le grillerait certainement, il était du type Beta et une plainte pour de tels motifs pouvait faire descendre le score du Beta le plus exemplaire jusqu’aux limites du Gamma. Celui-là n’était certainement pas un Beta exemplaire, à en juger par son unique chaussure gauche très certainement volée et sa chemise qui avait dû être blanche et dont il se servait de toute évidence comme d’une robe de chambre.

En tant que Gamma, il finirait en pièces détachées au supermarché Gamma & Plus, au pire chez Joe le Boucher, au mieux au ROV : le Rayon des Organes Vivants, immergé dans du Vitax®. C’est là que finissent les jeunes, parce que les muscles sont si bons, et Spike ferait tout pour que ce soient précisément ses jambes qui pédaleraient dorénavant à l’arrière de son tandem.

Spike sourit de manière torve et sentit que se dessinait un rictus sadique sur sa bouche, peut-être que finalement, cela valait le coup de s’arrêter. Il serra de toutes ses forces les poignées de frein comme pour étrangler ce garçon, ce misérable vaurien qui répandait déjà le programme inné des anticorps de la société : la Destruction des Corps Étrangers. Puis il entendit sa voix, c’était un cri et celui-ci déchira le ciel rouge de ce crépuscule d’été, car il se mit à pleuvoir immédiatement et les gouttes avaient l’air d’être du sang. C’était le cri désespéré d’une mère craignant de perdre son fils. Spike vit son regard implorant tandis qu’elle se tenait là, à la porte de sa cabane, un autre petit diable à la main. Il détourna son regard et continua sa route.

Quand il arriva chez lui, elle n’était pas là, quelle délivrance ! Il n’alluma pas. Il ouvrit la lucarne pour laisser rentrer de l’air frais, s’assit sur le fauteuil en cuir vert, dévissa les roues, poussa le dossier en arrière, suréleva ses pieds, resserra les roues et soupira. Comme c’était bon. Un train passa et Spike se demanda comment c’en était arrivé là. Il se sentait tel un détective essayant de trouver comment, qui, quand et pourquoi on voulait le tuer, et ce, jusqu’à ce qu’il soit finalement assassiné. Le train hurlait dans la nuit.

L’amour ! Quel sentiment archaïque, quelle vision manquant de maturité ! Ce qui est en vogue maintenant, c’est la haine. La seule chose efficace. Il se souvenait du slogan. Il avait toujours su qu’il était malade, il ne s’en était jamais remis. Cela avait commencé au jardin d’enfants lorsqu’il devait courir avec une lance et perforer les estomacs de ces gosses de type Gamma attachés aux grilles de l’autre côté de la cour tout en hurlant en allemand : “Ich bin ein Siiiieee… ger!“ (“Ich bin ein Sieger“ signifie en allemand : « Je suis un vainqueur »). Toute l’école regardait, les nez de tous les enfants s’écrasaient sur toutes les fenêtres, du rez-de-chaussée jusqu’au grenier. Il se souvenait, il était en onzième, il devait avoir six ans, et le pauvre enfant de type Gamma avait des cheveux bouclés noirs et des larmes dans les yeux, car le jeu l’épouvantait. Spike avait aussi des larmes dans les yeux, mais elles n’étaient pas de la même marque parce qu’il savait que ce n’était pas un jeu. Oh, combien il aurait donné pour embrasser ce pauvre petit au lieu de transpercer son ventre avec une lance, parce qu’il savait qu’il allait mourir.

Spike ne pouvait pas crier : “Ich bin ein Sieger!“, ni en allemand ni dans aucune autre langue, car il avait cette barre dans la gorge. Spike ne cria point et le professeur de gymnastique ne le remarqua pas non plus parce que les autres avaient crié si fort. Néanmoins, le petit Spike courut et perfora les tripes de ce gamin, car c’était son devoir. Il pleura longtemps après à chaque fois qu’il y songeait, tout comme maintenant, en se rappelant la prière qu’il devait chantonner : « Ô, Seigneur, donne-moi la force d’être cruel pour que je puisse accomplir les choses difficiles, mais nécessaires… » La lueur verte du Diener brillait à travers la lucarne, c’est à ce moment-là qu’une clef gratta la serrure. Regina devait être rentrée, car la lumière l’aveugla.

« Combien de fois t’ai-je déjà dit de ne pas rester assis dans le noir comme cela, tu me fais peur. C’est ce que tu veux n’est-ce pas ? »

Il aurait bien voulu se lever et lui crier dessus, il n’avait pas de barre dans la gorge cette fois-ci, en tout cas c’est ce qu’il croyait. Mais il considéra la chose à nouveau, il n’y avait rien à dire. S’il répliquait, elle continuerait indéfiniment sur ce qu’il aurait dû faire, ce qu’il n’a pas fait, ce qu’il ne fera jamais. Ainsi, en faisant un effort pour se contrôler et adoucir sa colère, il dit tout simplement qu’il avait éteint la lumière pour lui tout seul, parce qu’il aimait bien la pénombre et que cela n’avait rien à voir avec elle. C’est là qu’elle se mit à vrombir :

« Rien à voir avec moo…. aaa ? Rien n’a jamais à voir avec moi, c’est exactement le problème, tu es asocial et autiste… et ne me parle pas de cette voix d’adolescent. Va vivre seul si rien n’a à voir avec moi… » Cela recommençait, le corps de Regina éjectait la noradrénaline accumulée dans sa gorge par son éternelle mauvaise humeur à travers chaque pore de sa peau, comme un chien mouillé après la nage, et ses yeux tuaient toutes les ombres que son passé ne pouvait plus retenir.

Vivre seul ? Il n’allait certainement pas s’installer à nouveau dans le garage… même si elle lui jetait de la nourriture dans des sacs en plastique. Il n’avait jamais aimé le bruit de leur chute sur le sol ni la manière dont elle s’assurait, à travers la fenêtre, qu’il les ramassait. En plus, il y avait la voiture maintenant, la Sourdine, modèle 2040. « Et ce vélo, je vais le mettre à la poubelle, il pue et il est horrible. Change l’ampoule dans le salon au lieu de t’amuser avec des ̏inventions˝, à ton âge, débile va ! Combien de fois faut-il te le répéter ? »

Bien sûr que les jambes du Gamma ne sentaient pas, car elles avaient été gélifiées dans cette gelée synthétique de méduse et avaient une bonne tête, galbées et bronzées. Il se leva, excédé. Il voulait exploser, comme un tank atteint par une grenade où toutes les parties de son corps en perforeraient les parois pour s’échapper dans la nuit libre, dérivant comme des météorites vers le grand vide de la liberté. Il marcha vers elle. Il l’aurait bien broyée, accrochant ses doigts entre les siens, tirant ses bras vers le bas et tordant ses mains vers l’arrière en la poussant contre le mur pour finir par frapper avec son propre front contre sa tête possédée en criant : « Toc ! Toc ! Qui est là ? » Mais il se contenta de prendre ses mains et se souvint de la nuit lors de laquelle il fut réveillé par ces trois créatures, des trolls sans doute, assis près de lui, qui lui parlaient, à elle seule. Il se souvenait qu’il s’était simplement efforcé de garder ses yeux grands ouverts, fixés sur eux, mais cela ne les avait même pas dérangés et il s’était rendormi. Non, il ne demanderait plus : « Qui est là ? » Il s’enfoncerait simplement dans sa cervelle, mélangeant ses propres joues ainsi que son propre nez avec ses bulbes et ses lobes, se forgeant un chemin avec sa langue à travers ce liquide encéphalique salé qui maintenait en vie des yeux si déformés, jusqu’au diable qui y habitait. Il saurait enfin lequel de ces trois démons avait pénétré son âme et attisait l’âtre qui transformait sa vie en enfer. Il l’assommerait, l’étranglerait et l’écraserait contre la paroi rugueuse du salon en le poussant vers le haut jusqu’à ce qu’une longue traînée rougeâtre stigmatise les restes de sa chair alors morte.

Ses mains tremblaient, tétanisées autour de celles de Regina, et pour la première fois, il y avait de la peur dans ses yeux, mais Spike ne le vit pas. Au contraire, il implosa, baissa les épaules et obéit, comme toujours. C’était mieux ainsi, il avalait son chagrin, il en obtiendrait quelque chose en échange, la récompense d’être reconnu comme un bon garçon, et ça, c’est quelque chose. Cela remplissait ses yeux de larmes que personne ne vit. Elle était forte et injuste, et précisément parce qu’elle était si injuste, elle ne pouvait avoir que raison.

Se noyant dans ses larmes intérieures, il nagea vers cette échelle-vers-nulle-part, sous les escaliers avec les balais, pour changer l’ampoule, apaisé, comme au jardin d’enfants, après que sa mère l’ait si vertement grondé lorsqu’il avait planté le stylo en or de Papa dans le plancher. Cette nuit, comme beaucoup de nuits auparavant, ils dormirent comme les deux étrangers qu’ils étaient devenus. Regina n’enlevait jamais ses vêtements, de la même manière qu’elle n’avait jamais pris son nom à lui. C’est peut-être pour cela qu’il continuait de la désirer et pendait secrètement au bout de ses humeurs comme un chien battu. Il avait bien cette photographie d’elle qui était tombée d’un de ses livres, en noir et blanc, la montrant nue, mais la gélatine était si fragmentée qu’on aurait dit que son corps était couvert de cicatrices, morcelé tel un puzzle qu’il voulait encore compléter.

Quand l’amour est mort, on ne peut pas le ressusciter. Il s’en accommodera. Il était fatigué de nourrir un amour qui ne voulait pas vivre, aux soins intensifs avec un masque à oxygène, des tubes d’alimentation et des cathéters, un amour qui ne voulait pas grandir, qui était resté dans l’incubateur pendant vingt ans et qui n’avait jamais eu l’intention d’en sortir, supportant les visites de la belle-famille les week-ends : « Est-ce qu’il grandit ? »

Tout à coup, il était pour la sélection naturelle, faire tomber le couvercle pendant que l’infirmière ne regardait pas, débrancher les tubes, balancer le fœtus dans la poubelle et courir, fuir cet hôpital pour âmes unijambistes qui avaient joint leurs forces dans l’espoir d’enfin marcher comme un homme, les estropiés. Non, cela serait trop bruyant, trop suspect, juste débrancher la machine pendant qu’elle dort, laisser une note contenant « Je suis parti » et partir. Mais cela faisait longtemps que ce n’était plus un fœtus, mais un cadavre.

Il continuerait sans amour, comme il avait tout le temps fait, retour à la case départ, comme il aurait dû faire depuis que sa mère était morte, seulement cette fois-ci il ne lèverait même plus sa tête à cause de lui. Il serait plus fort, il n’aimerait plus jamais. Il se laisserait peut-être aimer par une pauvre créature, une qui croirait encore en l’amour comme il l’avait fait et il la laisserait s’écraser de manière répétée sur la glace de ses lèvres gelées, à travers laquelle il continuait de regarder les nouveaux « Vainqueurs » gagner, jusqu’à ce qu’elle finisse un matin par partir en laissant une note sur laquelle on pourrait lire : « Je suis partie. »

Il retournerait à Rothenbach. Il n’avait jamais résilié le contrat, il n’y allait jamais non plus, pas même pour y enlever les toiles d’araignées, seulement dans ses rêves, avec le petit train, pour visiter la chambre… fermée à clef. Rothenbach était son passé et on ne le résilie pas. Il se contentait d’en payer le loyer et ce n’était pas cher pour ce que c’était. Spike se mit à penser à la fille de la station Vitax®, comme ça serait bien de se reposer sur sa poitrine chaude, caressé par ses cheveux et bercé par le battement de son cœur. Spike qui ne pouvait pas dormir se leva et il n’avait pas l’intention de laisser une note.

Les murs étaient recouverts de photographies de couleur sépia de grands acteurs et écrivains. « Comment peut-on avoir un plan de ce que l’on va écrire ? Écrire, c’est comme parier avec des bouts de sa vie. », dit l’homme à la table voisine. La lumière blafarde des lustres parvint à éblouir Spike au moment où il leva la tête vers le serveur et il cligna des yeux. « Une pinte de Vitax® s’il vous plaît. », dit-il, et le serveur le regarda de ses larges yeux turquoise empruntés à quelque grand reptile. « Je crains bien que nous ne servions pas cela. », dit-il. C’est alors qu’il entendit cette voix familière qui s’approchait par-derrière : « Je pensais que vous n’en buviez pas, Monsieur Thorn. » Il rougit, mais cela ne se voyait pas, car la lumière était si verte. Elle s’assit près de lui, posa sa main sur sa jambe et, se retournant vers le garçon, elle dit : « On en prendra deux, John ! »

Ses grosses lèvres rouges remuaient comme dans un gros plan de cinéma muet. Il ne savait pas ce qu’elles disaient, il les regardait l’attirer comme l’œil du cyclone, c’est alors qu’elles dirent : « Embrasse-moi ! », et il le fit. Il l’aima immédiatement, sans la connaître, juste pour ce qu’il voyait d’elle, pour son sourire et son odeur, pour ce qu’il éprouvait quand il la touchait, pour la manière dont elle ondulait sa croupe quand il l’observait marcher devant lui ou peut-être était-ce le Vitax®. Il n’en savait rien, il savait seulement qu’il s’était mis plus tard à la renifler comme un chien, il avait commencé à balader ses narines partout au-dessus de son corps en chantonnant cet air… et elle avait ri si longtemps, si fort, et il avait tant aimé son rire s’élevant délicatement de derrière ses jambes repliées, si heureux qu’elle soit si heureuse.

Il se mit à grogner et ne put plus s’arrêter, peut-être était-ce le Vitax® cette fois, et il aurait voulu se fondre en elle sans se préoccuper de qui se fondait dans qui. Elle était si chaude et sentait si bon. Son corps chantait cet air, chaque membre y participait, le fredonnement des membres, supposa-t-il, et il s’endormit.

C’est alors qu’il entendit ces coups contre le mur, cela devait être les voisins, pensa-t-il, jusqu’à ce que son propre cœur se mette à cogner : cela venait de la chambre fermée à clef qu’il n’avait pas ouverte depuis vingt ans et ce n’était pas le Vitax®. Quelqu’un était en train de cogner contre le mur ! Tout d’abord il pensa que c’était un clochard qui avait fait son chemin jusqu’à Rothenbach. Il alluma une bougie et le mur tremblait toujours. Il restait là, pétrifié. Rassemblant ses forces et son courage, il entrouvrit la porte et le vent qui ouvrit grand la porte essaya de l’aspirer aussi. Résistant à peine, il vit cette femme aux cheveux gris qui flottaient, debout devant tous ses amis et amantes au point qu’il n’arrivait presque pas à les voir agiter leurs bras pour le saluer, et cette femme ressemblait à Regina. « Comment était-elle entrée là-dedans ? », se mit-il à hurler, terrorisé : « Je ne la veux pas là-dedans ! » C’est alors que son visage se transforma en celui de son père et elle lui dit :

« Amuse-toi mon fils ! » C’est à cet instant qu’il se mit à crier et il se réveilla. Gina lui caressait le front. Cela devait avoir été le Vitax®. Lors de la vingtième nuit, Gina ne reparut pas et Spike se mit à pleurer. Il était de nouveau seul à Rothenbach, vingt ans plus tard. La pièce au nord avait perdu un mur et ses gravats gisaient dans la cour où les enfants jouaient si tard. Il faisait froid. C’est à ce moment qu’il se remémora le boucher racontant qu’ils avaient attrapé une fille sur dénonciation d’un serveur qui l’avait vue sortir avec un Alpha. Ils l’avaient attrapée hier et l’avaient transformée en Gamma d’un coup de baguette de flic. Puis il avait rigolé et avait ajouté qu’avec un peu de chance, cette beauté atterrirait ici, à l’étalage de la boucherie de Gamma & Plus, et qu’il écarterait ses jambes pour de bon cette fois avec sa hache en forme de coq. Spike tomba sur ses genoux, presque suivi par les gravats. Il se déplia complètement sur le sol parce qu’il se sentait si lourd. Le sable des pierres éraflait ses joues qu’il mordait en tentant de comprendre ce que les paroles du boucher signifiaient.

Il dériva dans l’allée 5 de Gamma & Plus, là où on trouve les têtes et aucune ne portait de lunettes, elles ne chantaient plus cette chanson juive qu’il avait entendue si souvent, c’était si tard. Il n’avait même pas remarqué cette main qui avait pris la sienne. Cela sentait le Vitax® partout. Il aurait pu plonger sa tête dedans et en laper comme un chien, telle cette tête de Russe qui était tombée sur le flanc et marmonnait entre deux gorgées : “Otchen Haracho!”, mais cela aurait été sa fin. Il les regarda, certaines tristes, d’autres heureuses, la plupart saoules, il y avait même celle de la gitane aux yeux implorants, attrapée pour mendicité, supposa-t-il, mais Gina n’était pas là. C’était mieux ainsi, il aurait acheté sa tête et aurait cherché le reste pour l’empiler dans le chariot jusqu’à Rothenbach et après ? La réparer ? Baiser sa tête parlante pendant trois mois jusqu’à ce qu’elle meure, asphyxiée par le Vitax® ?…